SUR LA SURVIVANTE par le Pr N.LYGEROS (radio Arménie 01.09)

mercredi 11 février 2009.
 

SUR LA SURVIVANTE

Comment imaginer une survivante du génocide sans mourir de souffrance ? Il suffit de la voir lorsqu’elle décide enfin de parler lors d’une cérémonie de commémoration. Nous avons eu cette occasion le mois précédent en Ukraine. Car c’est en découvrant une survivante d’un autre génocide que nous saisissons comment nous voient les inconnus. Nous étions dans la grande salle de l’opéra national en présence du président de la République d’Ukraine. Après avoir été annoncée, une vieille dame s’est levée, assistée de sa fille pour marcher. Avant d’arriver sur la scène, elle devait emprunter une passerelle. Là, elle a perdu l’équilibre et sa fille n’a pu la retenir. Aussi toute la salle de l’opéra a vu s’effondrer la survivante du Holodomor. C’est à cet instant que nous avons réalisé ce que signifie la perte d’une survivante. Tout à coup, cette idée n’avait plus rien d’abstrait. Après s’être relevée, la survivante a prononcé... un discours sous le signe de l’humanité. Lorsqu’elle est revenue s’asseoir, c’est le président lui-même qui est allé auprès d’elle pour lui éviter tout risque de chuter. Ce geste, de la part du président, était tout à fait symbolique. Car c’est bien lui le fer de lance de la reconnaissance du génocide. C’est cette conscience qui l’a obligé à aider la survivante. Il sait la valeur de cette existence pour la cause de la reconnaissance. Cette survivante nous montre grâce à sa vie, qui ne fut que survie, l’honneur de l’esprit humain. Cette survivante nous démontre la résistance de l’humanité face à la barbarie. Contre tout système totalitaire, la résistante représente un symbole pour tous les combattants de la cause, tous les guerriers de la paix. Il ne s’agit pas seulement d’une vieille femme comme le pensent ceux qui oublient et ceux qui demeurent indifférents. Il ne s’agit pas simplement d’un effet de mode comme le suggèrent les cyniques ainsi que les fanatiques. Cette survivante est un exemple d’humanité en voie de disparition. Il est nécessaire d’avoir en tête la célèbre maxime sur les morts de Cicéron, pour comprendre l’état d’esprit qui doit nous habiter : la vie des morts consiste à vivre dans la mémoire des vivants. Cette survivante nous indique que nous sommes tous responsables de sa survie dans notre mémoire collective. Ce phénomène est général et ne saurait être réduit à un seul génocide. Chaque survivante, chaque survivant d’un génocide nous rappelle que rien ne justifie un génocide. Aucune barbarie ne doit être permise. Voilà ce que dit à la société, tout survivant, toute survivante. Et c’est à nous d’entendre cet unique message, en réalisant que son oubli correspond à une mort avant l’heure. Cette survivante nous rappelle que même si nous n’étions pas présents au moment du génocide, nous sommes tous responsables du génocide de la mémoire. Laisser choir une survivante dans l’oubli revient à se rendre coupable de complicité. Alors que sa mémoire correspond à un véritable acte de résistance. Et cet acte, nous sommes tous capables de le faire. Cette conscience que cet acte est à la portée de tous, nous provient de l’existence des survivants de chaque génocide. Ainsi tout crime contre l’humanité n’a pas seulement ses victimes mais aussi ses témoins. C’est grâce à leurs témoignages que nous pouvons condamner les bourreaux de l’histoire. C’est cela l’apport des survivants. Leur survie est un sacrifice, leur vie un don et leur mort, notre mémoire. À nous donc, de comprendre ce sacrifice, d’accepter ce don et de garder leur souvenir.

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