MESSAGE DE JEAN PAUL II POUR LE 70° ANN. DE HOLODOMOR

mercredi 25 avril 2007.
 

MESSAGE DU PAPE JEAN-PAUL II POUR LE 70ème ANNIVERSAIRE DE L’HOLODOMOR EN UKRAINE

1. Se souvenir des événements dramatiques vécus par un peuple est non seulement un devoir en soi-même, mais se révèle également plus que jamais utile pour susciter chez les nouvelles générations l’engagement à se faire, en toute circonstance, des sentinelles vigilantes du respect de la dignité de tout homme. La prière de suffrage qui naît de cet événement constitue par ailleurs pour les croyants, un baume qui adoucit la douleur et une supplication efficace au Dieu des vivants, pour qu’il offre le repos éternel à tous ceux qui ont été injustement privés du bien de l’existence. Le devoir de mémoire vis-à-vis du passé revêt, enfin, une valeur qui dépasse les frontières d’une nation, en touchant les autres peuples qui ont été victimes d’événements tout aussi tragiques et qui peuvent puiser un réconfort à ce partage.

Tels sont les sentiments que le 70 anniversaire des tristes événements de l’Holodomor inspirent à mon âme : des millions de personnes ont subi une mort atroce à cause des sombres mesures d’une idéologie qui, tout au long du XX siècle, a été source de souffrances et de deuils dans de nombreuses régions du monde. C’est pour cette raison, vénérés Frères, que je souhaite être présent en esprit aux célébrations qui se tiendront en souvenir des innombrables victimes de la grande famine provoquée en Ukraine sous le régime communiste. Il s’agit d’un dessein inhumain, mis en oeuvre avec une froide détermination par les détenteurs du pouvoir à cette époque.

2. Dans la réévocation de ces tristes événements, je vous demande, vénérés Frères, de vous faire les interprètes de ma pensée solidaire et de ma prière auprès des autorités de ce pays et auprès de vos concitoyens, qui me sont particulièrement chers. Les célébrations prévues, destinées à renforcer le juste amour pour la patrie dans le souvenir du sacrifice de ses fils, ne sont pas tournées contre les autres nations, mais entendent raviver dans le coeur de chacun le sens de la dignité de toute personne, quel que soit peuple auquel elle appartient.

Me reviennent à l’esprit les paroles de mon prédécesseur le Pape Pie XI, de vénérée mémoire, qui, en évoquant les politiques des membres du gouvernement soviétique de l’époque, distinguait nettement entre gouvernants et gouvernés et, tout en disculpant ces derniers, dénonçait ouvertement les responsables du système "qui méconnaissent la véritable origine de la nature et de la fin de l’Etat, nient les droits de la personne humaine, nient sa dignité et sa liberté" (Lett. enc. Divini Redemptoris [18 mars 1937], II : AAS 29 [1937], 77).

Comment ne pas penser, à ce sujet, à la destruction de si nombreuses familles, à la douleur des innombrables orphelins, au bouleversement de toute la société ? Tout en me sentant proche de tous ceux qui ont souffert des conséquences de ce terrible drame de 1933, je souhaite réaffirmer la nécessité de défendre la mémoire de ces événements, pour pouvoir répéter ensemble, encore une fois : Jamais plus ! La conscience des aberrations passées se traduit en un constant encouragement à construire un avenir davantage à la mesure de l’homme, s’opposant à toute idéologie qui profane la vie, la dignité, les justes aspirations de la personne.

3. L’expérience de cette tragédie doit aujourd’hui guider la manière de voir et d’oeuvrer du peuple ukrainien vers des perspectives de concorde et de coopération. Malheureusement, l’idéologie communiste a contribué à approfondir les divisions jusque dans le cadre de la vie sociale et religieuse. Il faut s’engager à une pacification sincère et effective : c’est de cette manière que peuvent être honorées de manière appropriée les victimes appartenant à toute la famille ukrainienne.

Le sentiment du suffrage chrétien pour tous ceux qui sont morts à cause d’un projet meurtrier insensé doit être accompagné de la volonté d’édifier une société où le bien commun, la loi naturelle, la justice pour tous et le droit des gens soient des guides constants pour un renouveau efficace des coeurs et des esprits de ceux qui s’honorent d’appartenir au peuple ukrainien. Ainsi, la mémoire des événements passés deviendra-t-elle une source d’inspiration pour la génération présente et les générations futures.

4. Au cours de l’inoubliable voyage accompli dans votre patrie il y a deux ans, évoquant la sombre période vécue par l’Ukraine soixante-dix ans plus tôt, je rappelais "les terribles années de la dictature soviétique et la terrible famine du début des années trente, lorsque votre pays, "grenier de l’Europe", ne réussit plus à nourrir ses enfants, qui moururent par millions" (Discours aux représentants du monde de la politique, de la culture, de la science et de l’industrie au Palais présidentiel [23 juin 2001], n. 3 ; Insegnamenti 24/1, 2001, 1268).

Il faut espérer que, avec l’aide de la grâce de Dieu, les leçons de l’histoire aident à trouver des raisons solides pour s’entendre, en vue d’une coopération constructive, dans le but d’édifier ensemble un pays qui se développe de manière harmonieuse et pacifique à tous les niveaux.

Atteindre ce noble objectif dépend en premier lieu des Ukrainiens, auxquels est confiée la défense de l’héritage chrétien oriental et occidental, et la responsabilité de savoir le conduire à une synthèse originale de culture et de civilisation. C’est là que réside la contribution spécifique que l’Ukraine est appelée à offrir à l’édification de la "maison commune européenne" dans laquelle chaque peuple puisse trouver un accueil qui lui convienne dans le respect des valeurs de sa propre identité.

5. Vénérés frères, en cette circonstance si solennelle, comment ne pas retourner par l’esprit à l’ensemencement évangélique opéré par les saints Cyrille et Méthode ? Tout en souhaitant que le peuple ukrainien sache jeter sur les événements de l’histoire un regard réconcilié, je confie tous ceux qui souffrent encore des conséquences de ces tristes événements au réconfort qu’apporte la Toute-Sainte, la Mère de Dieu. Je confirme ces sentiments par une Bénédiction apostolique particulière, que je vous accorde, vénérés frères, ainsi qu’à tous ceux qui sont confiés à vos soins pastoraux, en invoquant sur tous d’abondantes effusions de faveurs célestes.

Du Vatican, le 23 novembre 2003, solennité de Notre Seigneur Jésus Christ, Roi de l’univers.

IOANNES PAULUS II