commemoration du HOLODOMOR a LYON le 28.11.2009 à LA MËME HEURE qu’à KYÏV

lundi 30 novembre 2009.
 

pRISE DE PAROLE DE MYKOLA CUZIN le 28.11.09 à LYON

Les commémorations sont parfois l’occasion de rapprochements inattendus. Ainsi, ce qui nous rassemble ici aujourd’hui, le Holodomor, est-il assurément intimement lié à la chute du Mur de Berlin dont nous venons de fêter dans la joie le 20em. Anniversaire, le 9 Novembre dernier. Ce mur de la honte, tout autant physique qu’idéologique, symbole maudit de l’enfermement de nations entières derrières les barreaux de la dictature et de l’oppression, a amorcé, par sa disparition en 1989, l’inéluctable et pacifique effondrement de l’URSS moins de deux ans plus tard, cette URSS clef de voûte pendant près de 70 ans de l’affrontement entre les blocs et d’un système déshumanisé à l’extrême.

Alors, les consciences se sont libérées, les prisons et les goulags se sont ouverts et le travail de mémoire, longtemps réduit l’était de faibles braise sous une chape de cendres, a pu reprendre.

Le travail de mémoire est d’une certaine façon semblable à la croissance d’un arbre. Toujours lente, parfois torturée, avec des périodes de gel et de déracinement, puis des printemps prometteurs.

Les graines de cet arbre ont été semées en ces terribles années 1932-33, en même temps que des millions des nôtres tombaient en terre, exhangues , après avoir combattu en vain la faim et ceux qui la leur imposaient en guise de châtiment, pour ne pas avoir été conformes à l’idéal de l’homo soviéticus.

Cet arbre, sorti d’une terre agonisante, est longtemps resté chétif, tout juste entretenu à bouts de bras par la diaspora, parce qu’en Ukraine même, il était interdit de parler du Holodomor, de s’en souvenir ou d’en honorer la mémoire des victimes, même dans l’intimité des chaumières ou des caves, les chapelles et les églises ayant été détruites de longue date.

Et puis l’arbre a survécu, vaille que vaille, à toutes les horreurs, à commencer par celles de la seconde Guerre mondiale. Il a donné de nouvelles branches, l’une après l’autre. Ce furent entre autres les immenses révoltes dans les camps de Sibérie ou du Kazakhstan initiées dans les années 50 par les détenus qui tentaient ainsi de faire parvenir en Occident le message de leur manque cruel de liberté, les témoignages arrivés clandestinement par les samizdats dans les années 60 au prix de tous les dangers ... la résistance des intellectuels dans les hôpitaux psychiatriques dans les années 70 et la victoire de la conscience malgré les injections répétées de ... jusqu’à ce mémorable 9 Novembre 1989 annonciateur d’une libération à l’échelle européenne puis mondiale deux ans plus tard.

Bien sûr, cet arbre de la mémoire a perdu beaucoup de branches, été foudroyé maintes fois. Je pense ici tout particulièrement aux époux Maniak disparus brusquement, peu de temps après l’indépendance, et au moment de la publication de leur livre MEMORIAL, premier recueil de photos et de témoignages jamais publié en Ukraine. Mais l’arbre a poursuivi sa croissance obstinément. Et il a donné de nouvelles graines qui ont porté fruit, un peu partout... en Ukraine même où le Parlement a légiféré depuis quelques années sur ce crime qualifié de génocide par un nombre croissant d’Etats et où les institutions ont mis en place un mémorial et un centre de recherche, mais également dans le reste du monde. Cette année, l’Université de Cambridge s’est enfin décidée à honorer le travail et l’immense contribution journalistique du reporter gallois Gareth JONES, qui fut au moment du Holomodor l’un des rares correspondants étrangers a avoir risqué sa réputation et sa carrière pour témoigner du massacre perpétré impunément derrière le mur des dénégations soviétiques diplomatiquement distillés dans toutes les chancelleries et le paravent des articles dithyrambiques produits par des journalistes stipendiés par Moscou... et surtout le seul à l’avoir payé de sa vie quelques années plus tard (assassiné en CHINE ) Cette année également, un monument à la mémoire des victimes du Holodomor a été érigé à Varsovie, fruit d’un rapprochement intense non seulement entre les gouvernements mais également entre les peuples polonais et ukrainiens qui s’étaient opposés si vivement dans l’entre deux guerres... La mémoire a des vertus parfois insoupçonnées. Comment ne pas évoquer, enfin, la publication à l’occasion du 50 anniversaire de sa mort de la traduction en 28 langues d’un très important texte de Raphaël LEMKIN rédigé en 1953 ? Ce texte retrouvé il y a peu dans les archives de la bibliothèque de New York établissait dès cette époque la qualification de génocide à propos du crime perpétré contre les Ukrainiens à l’aune des recherches qu’il avait effectuées depuis 1933 et qui allaient faire de lui le véritable père de la Convention des Nations Unies de 1948 et l’inventeur du concept même de génocide utilisé juridiquement dès 1945-46 dans les actes d’accusation des procès de Nuremberg. Sa contribution en tant que juriste mais également en tant qu’humaniste reste à ce jour inégalée et nous incite à poursuivre l’entretien et la croissance de notre arbre de mémoire. Notre présence ici aujourd’hui ne manifeste nulle volonté mortifère ou vengeresse. Nous sommes porteurs d’un message d’espoir et de vie pour dire que l’entreprise de destruction qui nous visait n’a pas abouti et que la mort de ces millions de paysans, dont les seules armes étaient la faux et la fourche et la seule richesse l’amour de leur terre et de leur famille n’a pas été vaine. Elle nous rappelle que ce qui fait l’ordinaire et le fondement même de l’alimentation de millions d’êtres humains à travers le monde - LE PAIN - peut se transformer en arme implacable de destruction massive, que cette arme est facile à utiliser et ceux susceptibles de le faire toujours à l’affût de la moindre occasion. A nous de rester vigilants.

Merci à vous tous.

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