M. Le Consul Général d’Ukraine,Mr le Vice Président de l’Ordre National du Mérite, M. l’Adjoint au Maire de Lyon, M. Le Maire du 2nd arrondissement, M. Le Conseiller, Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
J’aimerai tout d’abord débuter cette prise de parole en rappelant qu’il y a tout juste 3 ans, ici même , à l’occasion de la commémoration du 90 e anniversaire du Holodomor qui nous rassemble à nouveau aujourd’hui, nous vous annoncions que l’Ukraine venait de se lever contre son Président dictateur, contre la corruption, la pauvreté et l’esclavage que lui promettait une éternelle inféodations aux appétits coloniaux de la Russie voisine. Ce que tout le monde connait désormais sous le nom de l’Euromaïdan, la Révolution de la dignité, a permis au bout de 3 mois - mais au prix de quels sacrifices - de remettre en marche une Nation que l’on croyait maudite par l’Histoire. Ceux qui, à cette occasion, se sont battus à mains nues sur les barricades de Kyïv puis sont partis défendre leur terre dans le Donbass sont les dignes héritiers des indépendantistes de 1917, des combattants de la liberté contre la barbarie nazie entre 1939 et 1945, des militants de Droits de l’Homme ( le Groupe Helsinki ukrainien fête ses 40 ans cette année ), des révoltés du Goulag... de toutes les époques. Ce sont également - ne l’oublions pas - les héritiers des paysans qui se sont soulevés en 1932-33 contre la confiscation de leurs terres, de leur culture, de leur foi... bref, de leur identité, qu’entendait leur imposer la tyrannie stalinienne et sa logique génocidaire. Aujourd’hui, encore, nous témoignons. Nous témoignons pour ces familles entières poussées dans les fosses communes ardentes creusées sous les ballasts ferroviaires, pour ces enfants décharnés, orphelins, jetés par millions à la rue, pour ces pères de familles hachés à la mitrailleuse par les pelotons d’exécutions rouges, pour ces prêtres , ces écrivains, ces artistes, ces intellectuels...tout ce qui fait une Nation ! ... envoyés pourrir par contingents entiers au fin fond du Kazakhstan ou de la Sibérie. Cette phrase d’Elie WIESEL m’ a beaucoup marqué : il disait " Qui écoute un témoin le devient". Nous, descendants directs et indirects de survivants du Holodomor, nous avons écouté, nous avons compris, nous savons et nous devons désormais témoigner encore et toujours de ces destins brisés pour faire toute la lumière sur ce qui leur est arrivé et dans l’espoir d’éclairer suffisamment l’Humanité pour écarter à jamais la survenue de l’horreur génocidaire. Mais que signifie notre témoignage, quelle est la raison d’être de notre travail de mémoire dans la société actuelle, dans la France de 2016 ? Je puis vous assurer que je me suis posé bien des fois cette question des derniers mois alors que chaque jour qui passait apportait son lots de déclarations favorables à un rapprochement "constructif" avec V. POUTINE, de discours enflammés à la gloire du "seul rempart à l’Est de la civilisation européennes et de ses valeurs chrétiennes (sic) !" Je ne peux faire autrement que de mentionner deux épisodes particulièrement douloureux, pour nous Ukrainiens de France, qui ont vu successivement en avril puis en juin derniers l’Assemblée nationale et le Sénat adopter des textes demandant l’abandon par la France des sanctions adoptées contre la Russie suite à l’annexion de la Crimée en mars 2014 puis au déclenchement d’une guerre coloniale dans le Donbass ukrainien. Pour avoir tenté de dialoguer avec certains signataires de ces textes, j’ai pu mesurer l’ignorance et les carences monstrueuses dont font preuve certains de nos responsables politiques français dans ce qu’il est convenu d’appeler la gestion de la crise ukrainienne. Ainsi en va-t-il de ce député, membre de la Commission des affaires européennes qui, répondant à mes reproches au sujet de sa signature, a pris le temps d’écrire - et donc de peser chacun de ses mots - ce commentaire hallucinant sur l’URSS :" “Cher monsieur, vous ne connaissez pas votre histoire. La Russie n’a pas, contrairement à ce que vous écrivez, occupé l’Ukraine pendant soixante-dix ans...”
Non, bien sûr, l’Ukraine a juste été torturée, brûlée, génocidée, affamé, pillée... Que dire de ce sénateur retweetant à l’envie, au lendemain de la victoire à l’Eurovision de la chanteuse ukrainienne tatare ( Djamala), en juin dernier, un article de l’organe de propagande officielle du Kremlin - l’agence Sputnik - qui justifiait la déportation des peuples caucasiens à la fin de la seconde guerre mondiale ? Comment un élu de la République peut-il s’autoriser à diffuser une telle propagande haineuse ?Et quand j’écoute et je garde les futurs candidats à l’élection présidentielle de mai 2017, je suis vraiment inquiet. De l’extrême droite à l’extrême gauche, trop nombreux sont les thuriféraires stipendiés, les flatteurs, les admirateurs béats et pour certains d’entre eux les adoubés par avance, qui se disent prêts à rééquilibrer la diplomatie française en l’orientant résolument vers le Kremlin. Non pas qu’il ne faille pas discuter avec Moscou....cela s’appelle le réalisme politique. Mais, tout de même, quel est le modèle que certains de ces présidentiables, certains de ces élus prétendent nous imposer ? Une société liberticide où les opposants et les journalistes ont une espérance de vie des plus faibles ? Un dictateur ex-officier du KGB qui laisse tribune libre à des illuminés va-t-en guerre et des extrémistes comme le sinistre Douguine et l’antisémite Jiriniovski ? Un président-premier ministre multirécidiviste qui érige en héros modernes des criminels de guerre ( comme le cruel Motorola, célèbre pour avoir abattu de sang-froid des prisonniers ukrainiens entravés ) et réhabilite progressivement le génocidaire Staline ? Une armée qui participe aux massacres à Alep et bafoue les traités internationaux? Un homme enfin, qui a applaudi le Brexit et qui appelle de ses vœux la destruction de l’héritage de Robert Schumann ? J’ai du mal à voir en quoi la France d’aujourd’hui s’en porterait mieux et quelles devraient être les vertus de ce "rééquilibrage". Oui, finalement, c’est peut-être ça aussi le sens de notre témoignage ici et maintenant : au -delà du nécessaire souvenir, de la compassion et de la justice demandée pour ceux qu’on a massacrés sur notre terre d’Ukraine - en 1932-33 - faire en sorte que la France, notre terre d’accueil, ne s’abandonne pas à une aventure politique et ne s’égare pas dans des compromissions odieuses qui lui feraient perdre son âme. Car , Cher Nikos ( Pr LYGEROS ), comme vous l’énoncez si bien dans votre ouvrage" Humanitas et tempus" : " La lutte pour la reconnaissance n’aurait de sens si elle n’était complétée par la nécessité d’oeuvrer pour l’Humanité et le temps."