81° ANNIVERSAIRE HOLODOMOR - Intervention MYKOLA CUZIN à LYON 30.11.14

mercredi 3 décembre 2014.
 

Nous ne savons pas encore si nous éviterons le pire, mais l’année qui vient de s’écouler a été dramatique en même temps que porteuse d’immenses espoirs pour l’Ukraine.

L’année dernière, ici même, alors que nous commémorions le 80 ème Anniversaire du Holodomor, le génocide perpétré par Staline contre la paysannerie ukrainienne en 1932-33, l’ex-président dictateur Ianoukovitch venait de doucher les espoirs de la population ukrainienne en annonçant officiellement qu’il avait renoncé à signer un accord d’association avec l’UE pourtant prévu de longue date. Après les violences policières et les premiers morts en janvier, l’opposition allait se radicaliser jusqu’à la destitution et la fuite de Ianoukovitch le 24 février. La Russie de Poutine, constatant l’échec de ce plan A, se lança à fond dans le plan B : le démembrement militaire de l’Ukraine. Cette politique a donc commencé immédiatement après les J.O. de Sotchi par l’envoi massif de troupes d’infanterie pour isoler la Crimée puis organiser dans l’urgence et au mépris du Droit international un référendum dont les résultats truqués n’ont dupé personne. Elle s’est poursuivie par l’envoi de contingents d’agitateurs « anonymes » dans le partie est du pays, notamment le Donbass, pour susciter un mouvement populaire qui aurait dû constituer le contrepoint de l’Euromaïdan. Faute d’une adhésion massive de la part de la population, c’est l’option armée qui a une nouvelle fois été retenue, avec l’apparition de plusieurs villes assiégées de l’intérieur par des « militants », des agents du renseignement russe et des militaires dépourvus de tous signes de reconnaissance. Il faut rappeler qu’à cette occasion de nombreux observateurs de l’OSCE et des civils ont été pris en otage, des membres de l’opposition à Ianoukovitch enlevés et torturés. Après de longues semaines d’atermoiements, le gouvernement s’est lancé dans une vaste opération anti-terroriste qui était en passe de réussir lorsque, fin août, grâce à l’aide humaine et matérielle massive de la Russie, les « séparatistes » ont stoppé net la reconquête des troupes ukrainienne et fixé une ligne de front qui couvre désormais 3% du territoire et près de 7% de la population ukrainienne. Malgré le cessez-le-feu signé à Minsk le 5 septembre dernier, le Kremlin n’a pas cessé d’envoyer des armes, des blindés et des troupes sur les territoires des Républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk et a même encouragé la tenue des « élections présidentielles » dans le but avoué de créer des zones de conflits gelés, comme en Transnistrie, en Abkhazie et en Ossétie. Vous allez sans doute penser : « mais quel lien y a-t-il entre les deux évènements ? Je vous répondrai qu’ils participent tous deux du même combat pluriséculaire de l’Ukraine pour sa liberté et son indépendance.

Le génocide de 1932-33 a été pour Staline le point d’orgue d’un plan quinquennal - à l’origine économique - mais dans lequel l’identité ukrainienne est rapidement devenue un facteur ethnique bloquant, de par le refus obstiné de l’Ukraine de se soumettre aux diktats de Moscou et de se fondre dans la masse informe de l’homo sovieticus qui promettait tout simplement la disparition de sa langue, de sa culture et de son héritage historique. Les archives ukrainiennes, quoique très largement pillées dès cette époque pour occulter le crime qui venait d’être accompli, ont ultérieurement largement démontré qu’en 1932 les paysans ukrainiens se sont battus avec l’énergie du désespoir à l’occasion de véritable batailles rangées contre la Guépéou, les activistes et l’Armée rouge. Ce n’est que la conjonction de toutes ces forces armées, avec la fermeture de ses frontières et le pillage systématique de toutes les denrées alimentaires disponibles que l’Ukraine a fini par succomber en 1933 pour un bilan humain que l’on ne martèlera jamais assez : 8 millions de morts, soit 25000 par jour au paroxysme de la famine. Chaque année, à l’occasion des commémorations du Holodomor, nous avons répété et répété sans cesse que la non dénonciation d’un crime en favorisait la réitération. Ce qui est arrivé à l’Ukraine depuis un an, mais qui en réalité couvait depuis bien longtemps, avant même la Révolution orange de 2004, n’est que la suite logique de ces années de cendre 1932-33. Fin 2013, le peuple ukrainien s’est soulevé à nouveau pour en finir avec la corruption, le mensonge, le pillage de ses richesses et sa sujétion au Kremlin. V. POUTINE qui se rêve chaque jour un peu plus en héritier légitime de Staline ne l’a pas supporté et, au mépris des traités et de son mandat à l’ONU, s’est lancé dans une reconquête guerrière de l’Ukraine. Pour les Ukrainiens, c’est clair. Il ne s’agit pas d’un affrontement de blocs, d’allégeances, ou de langues. J’en profite ici pour souligner que dans les bataillons populaires ukrainiens organisés à l’est de l’Ukraine pour contrer l’invasion russe, le russe justement est la langue la plus usitée...Le combat mené actuellement à l’est concerne un choix sociétal, celui de la démocratie, de la solidarité, de la liberté d’opinion contre le retour à un empire déchu et à une légalité telle que la concevait un tyran mort en 1953... Après un an de luttes et de combats, les Ukrainiens sont fatigués. On déplore à ce jour plus de 5000 morts, de milliers de blessés et près de 700000 déplacés. L’Ukraine s’est depuis le premier jour battue pour son destin mais aussi pour l’Europe. Et aujourd’hui encore elle se bat pour l’Europe., contre l’agression militaire lancée par Poutine et contre les mouvements terroristes qui sévissent actuellement dans le Donbass. Mais quand l’Europe va-t-elle enfin s’en rendre compte et réagir en conséquence ? Notre présence ici, en ce jour de Mémoire, sera donc l’occasion pour moi de lancer ce qu’il convient d’appeler 3 coups de gueule : Mon premier coup de gueule sera mémoriel : en 1932-33, les journaux de l’époque, les chancelleries de la SDN et la Croix-Rouge internationale se sont tous faits l’écho de la tragédie qui se déroulait en Ukraine...pour, au final, reconnaitre l’URSS et consacrer Staline Homme de l’année comme le fit le magazine Time en 1933 et 1934. Vingt an plus tard, c’est Raphaël LEMKIN, le Père de la Convention de 1948 qui qualifiait dans une allocution publique la famine ukrainienne d’exemple caractéristique de génocide soviétique....Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, les historiens ont fait un travail immense, souvent dans l’urgence, avant la disparition des derniers témoins. De grandes nations ont reconnu le génocide ukrainien, la dernière en date, et non la moindre, ayant été le Canada en 2008. Alors je pose la question : quand cessera donc l’hypocrisie mondiale au sujet du génocide ukrainien ? L’ONU n’a-t-elle pas en ce moment, sous ses yeux, en Ukraine, la conséquence de décennies de dénégations (et pour certains de ses membres fondateurs de négationnisme ), de mensonges, de petits calculs mesquins ? Oui, un génocide dénoncé et condamné ce sont des vies et des destins broyés que l’on honore, à qui l’on rend justice et ce peut être l’avenir d’une Nation que l’on protège. Mon second coup de gueule, en relation avec le précédent, sera intellectuel : il y a en France des scientifiques, des universitaires, des institutions de très grande qualité qui se voient décernés régulièrement des Prix Nobel et des récompenses internationales. Je reste malgré tout pantois devant l’indigence et l’irresponsabilité de ce que certains nous proposent. Prenez par exemple M. Alexandre ADLER, journaliste, universitaire, agrégé d’histoire et officiellement « Directeur scientifique de la chaire de géopolitique de l’Université Paris-Dauphine ». Voici ce que l’on pouvait lire récemment dans une brochure adressé pour son compte par l’Institut Diderot aux députés français : « L’Ukraine, c’est le cœur de la Russie, la nation ukrainienne n’existe pas, pas plus qu’une supposée identité linguistique ou religieuse véritablement propre." Comment n’a-t-il pas eu conscience, en écrivant ces lignes, de mettre ses pas dans ceux des tortionnaires de l’Ukraine qui , dans les années 30, niaient l’identité des Ukrainiens pour mieux faire accepter aux masses leur éradication ? Et que dire d’un Jacques SAPIR, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales qui s’époumone à tour de blogs et de conférences en répétant comme un mantra : « L’armée russe n’est pas présente en Ukraine. Personne n’a pu le prouver jusqu’à présent » ? Ces deux-là, unis pour le pire et au service du pire, me rappellent la sinistre mémoire du journaliste anglo-américain Walter Duranty, collaborateur zélé de Staline qui oeuvra beaucoup pour dissimuler le génocide ukrainien et reçu même, pour récompense de son travail le Prix Pulitzer en 1932. De tous temps, il s’est trouvé des gens pour flatter les tyrans et tenter d’en recueillir quelque gloire ou avantage, mais je dois dire qu’en France, avec la crise ukrainienne, cela a atteint des proportions inquiétantes. Je me sens donc obligé de lancer mon troisième coup de gueule, un coup de gueule républicain. Il se trouve actuellement en France, un parti politique qui navigue dans le sillage de la nébuleuse poutinienne depuis assez longtemps. Mais sa connivence et ses conjonctions de vue avec le Maître du Kremlin sont apparues au grand jour ces derniers mois. Ce parti est présent à chaque coup de force de Poutine pour les justifier, présent en Crimée en mars, avec tout ce que l’Europe compte de mouvements d’extrême-droite, pour certifier conforme la parodie de référendum, présent à nouveau dans l’est ukrainien en novembre, pour valider les élections interdites par l’accord de cessez-le-feu de Minsk.... Ce parti qui a négocié et obtenu en septembre dernier un prêt de 9 millions d’euros auprès d’une banque russe, ce parti qui a invité ce week-end, à Lyon, à son Congrès, Andreï ISSAÏEV et Andreï KLIMOV, deux parlementaires russes proches de V. POUTINE... oui, ce parti est désormais la tête de pont en Europe et en France d’un vaste projet géostratégique qui voudrait imposer la prééminence de l’Union eurasiatique rêvée par le Président russe et ainsi complètement démanteler de l’intérieur une construction européenne qui, malgré ses défauts, a permis d’installer durablement la paix et la prospérité sur notre continent après la dernière guerre. Je refuse que les héritiers de ceux qui ont massacré mon peuple en 1932-33 en Ukraine viennent aujourd’hui menacer en France, le pays qui a accueilli mes grands-parents, les idéaux de paix et de solidarité propagés en son temps par Robert SCHUMAN, et ceci en s’acoquinant avec des ennemis de la République bien de chez nous. J’appelle tous les républicains à en faire de même.


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