29.11.08 LYON -MEMORIAL Prise de parole de Mykola CUZIN

lundi 1er décembre 2008.
 

Monsieur le Ministre Conseil, Madame le Consul Honoraire, Mesdames et Messieurs les représentants du corps consulaire, Mesdames et Messieurs les élus Mr le Professeur Révérend Père Cher amis,

Chaque année depuis 1992, en ce mois de Novembre habité pour longtemps encore en France par le souvenir de la Grande guerre, c’est une émotion particulière qui empreint les cœurs et les lieux de mémoires en Ukraine. Sur cette terre martyre, dévastée par une famine-génocidaire en 1932-33, c’est en effet toute une Nation qui communie, et avec elle la diaspora, dans le souvenir vivace du crime suprême et resté longtemps ignoré perpétré par l’administration stalinienne il y a maintenant 75 ans, tout juste l’espace de la vie d’un homme.

En cette année Olympique , les commémorations se sont déroulés avec une ferveur toute particulière puisqu’il avait été décidé en Novembre 2007 qu’une Flamme du Souvenir du Holodomor parcourrait le monde, mettant par la même occasion en exergue la complémentarité des idéaux sportifs avec ceux de la liberté, de la démarche mémorielle et du respect des droits de l’Homme.

Cette flamme du Holodomor partie en Avril 2008 d’Australie, a finalement traversé 34 pays (dont la France en Août dernier) avant de rejoindre l’Ukraine où elle a été présentée dans toutes les régions. Elle a achevé son périple à Kiev Samedi dernier, à l’occasion de l’inauguration du tout nouveau complexe-mémorial dédié au génocide et érigé sur les bords du Dniepr.

Placée sous le signe de la diffusion pacifique du crédo « l’Ukraine se souvient, le monde reconnait », cette année commémorative et hautement symbolique a été marquée par d’incontournables préoccupations et interrogations Comment ne pas avoir une pensée pour le peuple tibétain et ses souffrances alors que les nations libres se sont présentées à Pékin plus divisées que jamais quant à l’attitude à adopter vis-à -vis des dirigeants chinois... ? Comment interpréter l’œuvre immense produite par Alexandre SOLJENITSYNE ( décédé en Août dernier ) pourfendeur du système concentrationnaire soviétique et Nobel de littérature en 1970, qui n’ a pourtant eu de cesse sur la fin de sa vie de railler les velléités d’indépendance de la Tchétchénie laissée pour morte par Moscou, et de dénoncer peu de temps avant sa disparition le soi-disant mensonge ukrainien autour du Holodmor ? Comment ne pas être révolté par ceux qui , à Moscou ou ailleurs, n’ont pas hésité à stigmatiser - je cite : « l’instrumentalisation de la famine ukrainienne au bénéfice de visées politiques malsaines » ? Pourtant, à l’instar des Arméniens qui n’ont rien fait pour mériter de mourir traqués comme des bêtes sur les routes où le gouvernement jeune turc les avaient jetés en 1915, et des Juifs qui n’ont pas choisi de succomber à la mort industrialisée organisée par la barbarie nazie au cœur d’une Europe en feu entre 1939 et 1945, les paysans ukrainiens n’ont pas commis de négligence fatale propre à expliquer pourquoi la faim les a fauché par millions en 1932-33 et pourquoi ils ont fini si nombreux dans les fosses communes creusées au bord des voies ferrées leurs corps mêlées aux grumes incandescentes destinées à effacer toute trace du crime... Qu’y a-t-il de malsain dans tout cela, si ce n’est le crime, son exécutant et cette volonté de banaliser souvent, de justifier parfois, ici ou ailleurs, aujourd’hui comme il y a 10 ans, 20 ans, 30 ans...75 ans ? Il est clair, que si les victimes du Holodomor n’accusent pas les Russes et la Russie mais bien un système politique et son instigateur - le tyran Staline - la Russie moderne, celle du Président MEDVEDEV doit impérativement prendre ses responsabilités et adopter une position très claire vis-à-vis de ce génocide plutôt que cultiver la gloire du passé soviétique et de ses symboles. A lieu de cela, ces dernières semaines ce sont les polémiques négationnistes et les interdictions de commémoration dans plusieurs grandes villes qui ont malheureusement prévalu sur le territoire de la fédération de Russie.

Qui pourrait croire que le refus d’évoquer un crime, un génocide, suffit à en solder les comptes et à éteindre la soif de vérité , de reconnaissance, des victimes et de leurs héritiers ? Dans son discours inaugural prononcé le week-end dernier, le Président ukrainien V. YOUCHTCHENKO a rendu hommage aux nombreuses populations ( dont les Russes, les Kazakhs, les Allemands de la Volga ... ) touchés durement par cette même collectivisation qui allait être poussée à son paroxysme et jusqu’au génocide sur le sol ukrainien. Il a évoqué parmi d’autres, le témoignage des voisins d’une famille du village de Savyntsi, dans la région de Kiev, qui virent à cette époque les employés communaux emporter les cadavres décharnés d’un homme et de son épouse tenant tout contre elle un nourrisson encore en vie et les jeter pêle-mêle dans la fosse commune, avant de les recouvrir avec de la terre, cette terre si noire et si fertile, symbole du malheur ukrainien en ces sombres années. Il a rappelé qu’en construisant ce nouveau mémorial, la Nation ukrainienne réglait enfin la dette de mémoire qu’elle avait à l’égard de cette famille, de cet enfant, de toutes ces familles et de tous ces enfants sacrifiés il y a 75 ans.

C’est bien là que réside toute la puissance de la transmission de la mémoire. Car comme le soulignait tout récemment dans une interview au Monde Elie WIESEL « Quiconque écoute un témoin le devient. » Ainsi, même si les derniers rescapés du génocide ukrainien se font de plus en plus rares, l’obstination avec laquelle ils ont entretenu et transmis leurs souvenirs, au long des décennies, souvent au péril de leur vie, commence à porter ses fruits. En Ukraine la jeune génération avance avec de plus en plus d’assurance sur le chemin de la connaissance et de la reconnaissance de cette tragédie fondatrice de l’inconscient collectif . En assumant son passé, elle construit peu à peu les bases d’un renouveau intellectuel et moral. Ce qui était indicible ne l’est plus... mais c’est aussi et surtout de la reconnaissance des autres que viendra la vraie libération. En ce sens , la toute récente déclaration du Parlement européen qualifiant le Holodomor de - je cite - « crime effroyable perpétré contre le peuple ukrainien et contre l’Humanité » constitue une avancée sans précédent, même si pour le moment, l’ONU reste encore à la traine, pour les raisons que l’on sait.

Cependant, le plus inattendu et le plus merveilleux sans doute nous a récemment été apporté par Père de la Convention sur les génocides de 1948, Raphaël LEMKIN. Nous avons toujours pressenti que ce précurseur et défenseur infatigable des droits de l’Homme et de la dignité humaine n’avait pas pu ne pas se prononcer sur le Holodomor, tant ses origines, sa sensibilité et ses recherches l’ y prédisposaient . Mais nous n’en avions jusqu’à présent jamais eu la preuve et tous nos détracteurs tentaient de convaincre le monde que cela n’avait jamais été le cas. Or, il a récemment été redécouvert dans une bibliothèque américaine un très importants fonds documentaires déposé en Août 1982 par une ancienne relation de travail de Raphaël LEMKIN et qui contenait, entre autres documents immensément précieux, une monographie constituant une Histoire des génocides dans laquelle un chapitre entier est consacré à l’Ukraine. Dans cet ouvrage, rédigé dans les années 50, Lemkin analyse méticuleusement les Holodomor dans tous ses aspects, y compris en amont et en aval de la famine proprement dite, pour en conclure que le peuple ukrainien a bel et bien été victime à cette époque d’un génocide méticuleusement préparé et perpétré. Ainsi donc, cet immense juriste international révéré par Koffi Anna, après avoir été orienté dans sa carrière par la tragédie du Yeghern arménien et avoir posé les fondements de la lutte et de la prévention internationales contre les génocides sur la dénonciation de la Shoah, est venu parachever à plus de 50 ans de distance l’édifice mémoriel du Holodomor par la grâce de la découverte fortuite d’un de ses ouvrages resté inédit jusqu’à ce jour. Celui-ci sera dans un premier temps publié en langue anglaise d’ici la fin de l’année, avant une diffusion bien plus large que nous souhaitons très rapide. Maintenant, nous savons qu’il savait, et qu’il n’avait pas été indifférent à notre Holodomor. La vérité est en marche et la portée universelle de son œuvre toujours d’actualité. Il nous incombe plus que jamais d’en être les témoins fidèles.

Merci à vous tous.


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