COMMEMORATION DU 80° ANNIVERSAIRE DU HOLODOMOR a LYON

dimanche 25 novembre 2012.
 

Messieurs les Consuls Honoraires, Monsieur l’Adjoint au Maire de Lyon, Messieurs les Elus, Chers amis,

Il est des étapes dans la construction d’une mémoire qui marquent plus que d’autres.... Nous voici réunis ici aujourd’hui pour commémorer le 80e. anniversaire du génocide perpétré en 1932-33 par Staline et ses séides contre le peuple Ukrainien. J’aurais tendance à dire : « 80 ans, déjà ! » Lorsque nous avons créé notre Comité au début des années 80 à l’instigation de nos parrains le Cardinal Decourtray et Charles Hernu, l’espoir de la libération des Nations asservies d’Europe orientale n’était qu’une lointaine utopie, parler ukrainien, penser ukrainien, vouloir être Ukrainien... était interdit et dangereux et évoquer le Holodomor représentait le sommet du déviationnisme petit-bourgeois que seuls la mort ou un séjour prolongé en hôpital psychiatrique pouvaient corriger. A cette époque, Tchernobyl n’avait pas encore répandu son venin et il allait encore se passer 10 ans avant que la chute du Mur de Berlin n’entraîne l’effondrement de la prison des nations. 21 ans ont passés depuis cette magnifique année 1991. Force est de constater que les progrès accomplis dans la construction de notre mémoire en général et dans celle du Holodomor en particulier ont été immenses. Entretenue par miracle pendant des décennies comme un filet d’eau perdu au milieu d’un désert, cette mémoire a connu un essor sans précédent à la faveur de l’Indépendance de l’Ukraine en 1992 avec la publication des premiers recueils de témoignages, l’ouverture - mesurée et sporadique - des archives, la multiplication des travaux d’universitaires, la création d’une fondation et d’un mémorial, la pénalisation du négationnisme du génocide par le Cour Suprême d’Ukraine en 2006. A ce jour 26 pays ou institutions ont reconnu et qualifié de génocide ce crime indicible commis contre le peuple ukrainien et les publications internationales sont toujours plus nombreuses à y faire allusion. Alors oui, que de progrès réalisés lorsqu’on se retourne et que l’on se rend compte que l’Ukraine a failli disparaître à plusieurs reprises au cours de ce XX siècle sanglant. Pour autant, 80 ans dans la vie d’un homme, c’est l’âge de la maturité, de la sérénité devant tout ce qui a été accompli et tout ce qui a été transmis aux nouvelles généra tions, c’est la certitude de pouvoir bientôt se retirer en laissant son œuvre se poursuivre. Or, chaque jour qui passe, je me rends un peu plus compte que notre mémoire n’en est qu’à ses balbutiements. Je serais tenté d’établir un parallèle avec ce phénomène bien connu de l’observation d’évènements cosmologiques que nous ne pouvons faire que des centaines, voire des milliers d’années après leur survenue, le temps que leur traces lumineuses voyagent jusqu’à nous à travers l’immensité de l’espace. Le Holodomor en 1932-33, c’est en quelque sorte l’explosion cataclysmique d’une Supernova dont nous commencerions à peine à percevoir les rayonnements dans un télescope. Certes, il y a 80 ans, alors qu’au paroxysme de la famine-génocide près de 1500 personnes mourraient chaque heure sur la terre d’Ukraine, le monde libre était au courant, la SDN et la Croix-Rouge avaient été alertées et la communauté ukrainienne de Pologne se démenait comme elle pouvait pour rassembler une aide qui ne serait finalement rejetée catégoriquement car considérée comme insultante par le maître du Kremlin. Le Saint-Siège a lui-même mené à cette époque une intense activité diplomatique afin que l’aide soit acceptée, sans toutefois agir directement de peur d’exciter les persécutions contre les chrétiens. Mais les frontières de l’URSS sont restées obstinément closes et la propagande soviétique a réussi son travail, au-delà de ses espérances - bien aidée en cela par certaines factions intellectuelles de nos démocraties occidentales. Pour finir, la présence du Vojd dans le camp des vainqueurs de la seconde Guerre mondiale lui a opportunément permis de passer l’éponge sur tous les mensonges soviétiques passés, mais aussi à venir... les mensonges sur la Guerre civile de 1917, les mensonges sur les premières famines dans les années 20, les mensonges sur les purges et les déportations massives dans les années 30, les mensonges sur la collusion avec le régime nazi, les mensonges sur le massacre de Katyn, les mensonges sur les CAJ montés uniquement pour mieux repérer ceux que le régime appelait les « cosmopolites » et les éliminer et bien sûr les mensonges sur le Holodomor. Après guerre, certaines voix - et non des moindres - se sont pourtant élevées pour dénoncer le génocide ukrainien de 1932-33. Ainsi, Raphaël LEMKIN, le père de la Convention de 1948, déclarait-il en 1953 lors d’un discours donné à New-York : « Ce dont je veux parler est sans aucun doute l’exemple le plus classique du génocide soviétique, son expérience la plus ancienne et la plus étendue en termes de russification, c’est à dire la destruction de la Nation ukrainienne. » Plus près de nous, le spécialiste mondialement reconnu du Holodomor - James MACE, aujourd’hui décédé - parlait déjà dans les années 80 de la volonté maintes fois exprimée par Staline de détruire la paysannerie ukrainienne, l’intelligentsia ukrainienne, ainsi que la langue et l’histoire ukrainiennes. Selon lui, son calcul était très simple, très primitif : plus de peuple, cela voulait dire plus de nation séparatiste et donc plus de problème. Il en concluait qu’une telle politique était l’expression la plus évidente qui soit du Génocide. » 80 ans après, que reste-t-il de ce massacre effroyable ? A ce jour, 13 Etats à travers leurs organes représentatifs ( sénats ou parlements ) ont reconnu le Holodomor comme génocide. Parmi eux l’Estonie, la Lituanie, la Pologne et l’Espagne. 13 autres l’ont qualifié de crime dirigé contre le peuple ukrainien. Fort heureusement, le Holodomor n’est plus aujourd’hui un sujet tabou, interdit. Les historiens ont été nombreux à travers le monde à s’emparer du sujet ces dernières années, mais on sent bien encore de puissantes résistances et des réticences assez fortes, à telle enseigne que notre actuel premier Ministre Jean-Marc AYRAULT, alors Député-Maire de Nantes répondait ainsi en 2007 alors que nous venions de l’interpeller sur le 75 e. anniversaire du Holodomor , je cite : « On ne peut qualifier de génocide tout massacre de masse commis à l’occasion d’une révolution ou d’une guerre, quelle qu’en soit l’horreur. Ces actes - i-e le Holodomor - relèvent du crime contre l’humanité et ne sauraient être spontanément considérés comme génocide, en dépit de l’usage abusif qui est souvent fait aujourd’hui de ce terme. S’agissant du devoir de mémoire à l’égard des paysans ukrainiens, il concluait ainsi : « Ce devoir sera d’autant mieux rempli si les faits reçoivent la qualification qui leur revient. » Il ne croyait pas si bien dire ! Et il y a urgence ! 80 ans après, la génération des rescapés alors enfants à l’époque est en train de s’éteindre. Les témoins adultes sont morts depuis longtemps, la plupart sans jamais avoir été entendus et les exécuteurs de basses œuvres à tous les échelons n’ont jamais été inquiétés. L’Ukraine actuelle tente vaille que vaille de faire son chemin, de trouver sa voie mais on sent bien que le génocide pèse encore de tout son poids dans le cœur de cette veille nation. L’agriculture de s’est jamais vraiment relevée de cette catastrophe. Et les 8 millions de vies humaines sacrifiées ajoutées aux six millions du déficit démographique ont creusé un trou abyssal dans la population. En Ukraine orientale, de vastes régions totalement désertées suite aux meurtres et aux déportations des populations ukrainiennes ont été repeuplées massivement par des paysans et des détenus russes parce qu’il n’y avait tout simplement plus personne pour travailler la terre. De nos jours, ces descendants bien involontaires de la politique d’épuration ethnique stalinienne, continuent de peser de tout leur poids sur une vie politique ukrainienne qui, du coup, peine à servir les intérêts les plus élémentaires de la Nation, dans le sens où ceux-ci ne devraient plus du tout dépendre de la Russie. La Russie, quant à elle, continue de se comporter avec l’Ukraine comme s’il s’agissait de sa chasse gardée, s’ingérant toujours plus dans ses sphères politique, économique, militaire, religieuse et culturelle, avec toute la force et l’arrogance que peut conférer l’impunité. Oui, il y a urgence... urgence pour la vérité historique, urgence parce qu’une victime non reconnue transmet toujours d’immenses souffrances à ses descendants et qu’un bourreau non désigné peut laisser croire à ses héritiers que le crime non dénoncé était légitime. Oui, nous demandons qu’enfin le Holodomor des années 1932-33 soit reconnu de façon pleine et entière comme un génocide parce qu’il est plus que temps que justice soit rendu à l’UKRAINE et aux Ukrainiens, mais également parce c’est à cette seule condition que la réconciliation pourra s’envisager entre l’Ukraine et une Russie véritablement démocratique et que le construction européenne pourra s’achever sur la base d’un partenariat juste et équilibré dénué de toute velléité de chantage énergétique ou militaire. Je terminerai en ayant une pensée spéciale pour les 3 millions d’enfants disparus dans la folie de ce génocide, puisque cette semaine, le mardi 20 novembre était organisée la journée mondiale 2012 de l’enfance. Mykola CUZIN

Merci à vous tous.


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