Monsieur le Consul Général d’UKRAINE, Messieurs les élus, Révérend Père, Cher Amis,
Nous sommes réunis en ce lieu aujourd’hui pour commémorer le génocide de 8 millions de simples paysans ukrainiens en 1932-33. Ces gens étaient vraiment très simples en vérité, attachés qu’ils étaient par un amour viscéral et pluri-millénaire à leur terre riche et noire, une terre qui s’était avérée nourricière pour bien des peuples méditerranéens depuis l’aube de l’antiquité. Ces gens chérissaient leur langue, leur culture, leurs traditions et, par-dessus tout, leurs enfants. Il faut croire que cet amour de leur terre et de leurs semblables devait représenter un terrible danger pour le pouvoir soviétique pour que le dictateur Staline décide à l’issue de son premier plan quinquennal de tous les éradiquer comme on le ferait avec des insectes nuisibles. Eût-il réussi dans son entreprise insensée que nous ne serions pas là pour vous en parler. Aujourd’hui je devrais évoquer la mémoire de ces gens, leur combat pour la survie, leur préoccupation de savoir si leurs contemporains et les générations futures apprendraient ce qu’il leur était advenu et pourquoi ils avaient été éliminés. Aujourd’hui donc, je devrais vous parler des morts et de la façon dont leur disparition a profondément et durablement marqué l’histoire de l’Ukraine. Aujourd’hui je souhaiterais tant pouvoir vous dire que depuis la vie a repris son cours normal en Ukraine, que cette terre est à jamais à l’abri du fléau génocidaire, voire même que le coupable, les coupables, ont été clairement désignés et sanctionnés, et peut-être même qu’ils ont compris leur faute... Mais à l’instant présent une urgence, une nécessité impérieuse m’ enjoignent de vous parler des vivants, des descendants de ce peuple génocide parce que les raisons qui ont conduit à la tentative de meurtre de toute une Nation il y 79 ans, la convoitise donc, le désir de s’approprier la terre et les richesses du voisin, le refus haineux de voir autre chose dans ce peuple terrien autre chose qu’une masse informe de paysans incultes tout juste bons à subir le joug et le knout, oui toutes ces raisons menacent à nouveau la jeune démocratie ukrainienne qui vient à peine de fêter ses vingt. Par son jeu politique trouble, ses manœuvres d’intimidation, ses décisions arbitraires et dangereuses et ses appels du pied répétés à l’ancien geôlier moscovite, l’actuel président ukrainien V. YANOUKOVITCH élu en 2010, celui-là même qui avait failli profiter de l’empoisonnement de son rival lors des élections de 2006, est en train de menacer gravement la souveraineté de l’Ukraine, la culture et la langue ukrainiennes et la vie même des journalistes et de ses opposants politiques. Les années précédentes, j’ai eu l’occasion de vous dire à maintes reprises combien il m’apparaissait crucial que ce génocide clairement dénoncé dans les années 50 par R.LEMKIN lui-même soit reconnu le plus largement possible dans le concert des nations et admis très clairement par la Russie qui s’est toujours affirmée l’unique héritière de l’URSS depuis la disparition de celle-ci en 1991. A ce jour, seuls quelques pays et parlements ont fait la démarche et en Russie l’euphémisation et le négationnisme règnent toujours en maître. Or, que croyez-vous qu’il arrive lorsqu’une ancienne victime est contrainte de vivre au voisinage immédiat de son tortionnaire et que celui-ci n’a pas été jugé ni condamné, même pas inquiété ... ? c’est exactement la situation de l’Ukraine à l’heure actuelle, située dans cet étranger proche si cher V. POUTINE et qu’il continue à revendiquer au nom d’un néo-colonialisme qui ne cache même pas son visage. N’est-il pas logique que l’assassin non démasqué voit dans son impunité un encouragement à la réitération de ses actes ? Oh, bien sûr, en 2011 il ne saurait être question d’un génocide physique, non, mais un génocide culturel est encore actuellement tout à fait possible en Ukraine. Et le voisin russe a trouvé dans les ambitions politiques dévoyées du candidat déchu de 2006 Yanoukovitch un vecteur idéal pour une remise au pas de son ancienne possession. Je dis possession car vous aurez compris que dans un processus génocidaire c’est toujours la frustration de ne pouvoir s’accaparer librement l’autre qui pousse au meurtre. Entre autres décisions catastrophiques, savez-nous que l’ukrainien vient d’être rendu facultatif dans l’enseignement supérieur et que son emploi dans la vie courante est même dissuadé dans toute une partie de l’Ukraine orientale au profit du russe ? Imagineriez-vous un instant le français absent de la Sorbonne ? Pire encore, que dire de la réinstallation il y a quelques semaines d’une statue à la gloire de Staline par les autorités de Zaporija, ville de résistance cosaque historique, sur un emplacement où elle avait déjà été dynamitée une première fois il y a quelques années ? N’est-ce pas la marque du mépris suprême pour les victimes et leurs souffrances ? Le reniement de toute dignité humaine ? Et pourquoi pas une statue d’Hitler à Jérusalem ? Je dis « STOP, ça suffit ». Pour le seul XX em. siècle les Ukrainiens ont subi deux guerres meurtrières, une révolution sanglante, plusieurs famines, les persécutions religieuses, l’anéantissement leur intelligentsia au début des années 30, le génocide à proprement parler en 1932-33 au cours duquel près de 12 000 villages et bourgs ont été anéantis, l’esclavage par millions dans le goulag, les hôpitaux psychiatriques sous Brejnev...N’est-ce pas suffisant à la fin pour alerter la conscience des voisins, susciter la compréhension, prendre des mesures de sauvegarde à l’égard de la victime et éloigner définitivement l’agresseur ? Une Nation qui se bat en permanence pour sa survie ne peut rien construire pour son avenir et le danger est qu’à force, l’usure du combat la pousse inexorablement vers l’anéantissement. Comme l’évoquera tout à l’heure Walter devant vous, Moshe FISHTEIN a déclaré lors de d’un discours à l’occasion des cérémonies commémoratives tenues à Kiev en 2006, s’agissant des paysans ukrainiens : « Les Justes parmi les Nations n’étaient pas parmi eux à cette époque ». S’ils ne le furent pas en vérité, ou beaucoup trop peu en raison des précautions prises au moment des faits par les autorités soviétiques pour interdire l’accès des zones sinistrées aux journalistes et aux témoins, je voudrais que ces Justes se manifestent maintenant, immédiatement, car l’Ukraine est une fois de plus en danger de mort. Je vous remercie. Mykola CUZIN